Chaque année, la rentrée scolaire en Afrique soulève son lot d’enthousiasme, d’espoirs, mais aussi de défis immenses. Pourtant, derrière ce moment symbolique, une question majeure demeure trop souvent ignorée : qui se soucie réellement de la qualité des enseignants ? Et, tout aussi important, qui se préoccupe de la disponibilité et de l’engagement réel des élèves ?
Malheureusement, ces sujets sont quasi invisibles dans les médias publics. On parle plus des infrastructures ou des taux d’inscription que des conditions dans lesquelles l’apprentissage se déroule véritablement. Depuis 2023, un autre défi et pas de moindre se pointe dans le paysage éducatif sur le continent: celui mené par les Intelligences Artificielles génératives (IA).
Diplômé en Pédagogie et ayant moi-même enseigné plusieurs années, je peux en témoigner : de nombreux enseignants souffrent en silence, parfois désemparés, ne sachant pas vers qui se tourner pour être soutenus.
La rentrée scolaire en Afrique ressemble aujourd’hui à ce bus qui se précipite sur le parking, chargé d’usagers impatients de partir. Tout le monde se rue à toute vitesse dans le véhicule, sans prendre le temps de vérifier l’état du moteur ou le niveau du carburant. Pressés d’arriver à temps au travail ce lundi matin, ils ignorent les signes avant-coureurs. Et quelques mètres après le départ, c’est la panne inévitable : le chauffeur, qui n’a pas pris le temps de réviser le moteur la veille, se trouve impuissant face à l’immobilité soudaine.
Sous pression, les enseignants au bord du gouffre
Chaque jour, les enseignants doivent faire face à une double pression. D’une part, celle de la direction d’établissement qui cherche à satisfaire les attentes des parents afin de garantir le paiement des frais scolaires, primes et autres revenus indispensables. D’autre part, un contexte socio-économique difficile qui pèse lourdement sur leur vie personnelle : précarité, conflits, insécurité.
Dans leurs classes, ils doivent composer avec des effectifs surchargés, un manque de matériel pédagogique adapté, des élèves parfois démotivés ou absents, et le poids d’un avenir incertain. Par ailleurs, dans certains pays africains en proie aux conflits armés ou à des crises humanitaires, les conditions d’enseignement deviennent tout simplement très hostiles.
L’enseignant n’est plus seul détenteur du savoir : l’émergence des réseaux sociaux et le défi de l’information
Autre constat bouleversant : l’époque où l’enseignant détenait seul le monopole du savoir est révolue. Aujourd’hui, les réseaux sociaux, les plateformes de contenu éducatif en ligne et les nombreux outils numériques ont démocratisé l’accès à l’information.
Ironie du sort : bien souvent, ce sont les élèves eux-mêmes qui sont plus avancés, ou du moins mieux informés, que leurs enseignants. Cela creuse un fossé et remet en question le rôle traditionnel de l’enseignant dans la salle de classe.
Un système éducatif obsolète, un continent qui doit se réveiller
Alors que les grandes puissances mondiales investissent massivement dans les technologies éducatives, l’intelligence artificielle et les innovations pédagogiques (on parle partout d’IA générative, de réalité augmentée, d’apprentissage adaptatif), l’Afrique semble malheureusement déjà distancée, parfois sans même avoir commencé la course.
Selon l’UNESCO, le taux d’achèvement du primaire en Afrique subsaharienne tourne autour de 60%, et seulement 43% des jeunes ont accès à l’enseignement secondaire. Ces chiffres reflètent un système qui peine à s’adapter à la rapidité des changements globaux.
Le système éducatif actuel, basé sur un modèle hérité des anciennes puissances coloniales, n’est plus en phase avec les réalités socio-économiques et technologiques du 21e siècle. Il est urgent de repenser l’enseignement pour préparer les jeunes Africains à relever les défis de demain et à être compétitifs dans une économie mondiale elle-même en mutation rapide.
L’analogie du bus-éducation en Afrique
La rentrée scolaire en Afrique est devenue comme ce bus bondé sur un parking, vers lequel tous les usagers se ruent à toute vitesse. Chacun est pressé d’arriver à destination, souvent au travail le lundi matin, sans se soucier de l’état réel du véhicule. On oublie de vérifier si le moteur a été entretenu, si le carburant est suffisant, ou si les pneus sont en bon état. L’urgence de partir prend le dessus sur la prudence.
Malheureusement, cette précipitation se paie souvent cher. Très vite, après seulement quelques mètres, le bus s’immobilise brusquement, en panne au milieu du trajet. Le chauffeur, fatigué et pris au dépourvu, n’a pas fait la révision nécessaire la veille. Il n’avait ni anticipé ni préparé le voyage, malgré l’importance de la mission.
Cette scène métaphorique reflète ce que vit chaque année le système éducatif africain à la rentrée. La course à la scolarisation, l’urgence politique, la pression sociale poussent au démarrage hâtif d’une année scolaire sans que les conditions essentielles – la formation, la motivation, l’accompagnement des enseignants, les infrastructures – soient réellement assurées. Le moteur, c’est la qualité de l’enseignement, et le carburant, la santé physique et mentale des professeurs, ainsi que la disponibilité réelle des élèves.
Sans un entretien rigoureux, une révision attentive des méthodes pédagogiques et une préparation humaine et matérielle sérieuse, ce bus-éducation ne pourra pas emmener ses passagers vers un avenir meilleur. Il tombera en panne, laissant des générations d’enfants en chemin, faute de vision et de soins constants.
Il est urgent de remplacer ce modèle précipité par une approche réfléchie, où chaque rentrée serait préparée avec soin, où les enseignants seraient soutenus, formés, considérés comme les véritables moteurs du système, et où les élèves disposeraient des meilleures conditions pour apprendre et progresser. Car plus qu’un simple départ précipité, l’éducation doit être un voyage durable, sûr, et porteur d’avenir.
Recommandations pour un renouveau pédagogique en Afrique
- Prioriser la santé mentale des enseignants avant et après chaque rentrée scolaire
Les directions d’écoles devraient systématiquement organiser des séances de consultations et un suivi psychologique pour soutenir les enseignants avant, pendant et après les rentrées scolaires. Un enseignant en bonne santé mentale garantit des cours de meilleure qualité, plus engagés et plus humains.
- Adapter les programmes scolaires aux réalités locales
Il est indispensable que les États africains réajustent leurs curricula pour qu’ils correspondent davantage aux besoins économiques, culturels et sociaux des pays. Une éducation déconnectée du terrain est peu efficace et démotive élèves comme enseignants.
- Réformer la structure et la durée des cycles scolaires
Le modèle actuel — souvent 6 années x 3 cycles — est trop long et favorise le décrochage. Il serait judicieux de compacter les années et de développer parallèlement des filières techniques professionnalisantes dès le secondaire pour offrir des parcours adaptés, pratiques et valorisants.
- Imaginer dès aujourd’hui l’éducation de demain, à 50 ans horizon
Face à la révolution technologique, l’Afrique doit investir dans la prospective éducative. Quels systèmes envisager pour que les jeunes Africains bénéficient des innovations (intelligence artificielle, numérique, réalité virtuelle) ? Ce travail d’anticipation est peu visible sur le continent, alors que dans plusieurs pays avancés des plans de transformation éducative à long terme ont déjà commencé.
- Créer des espaces d’échange pour enrichir la réflexion collective
On invite tous les acteurs – enseignants, parents, élèves, chercheurs, décideurs – à partager leurs idées, recommandations et expériences pour construire ensemble le futur éducatif africain.
Pour la route…
La rentrée scolaire ne doit plus être seulement une formalité administrative ou un cycle répétitif. Elle doit devenir un moment d’écoute, d’innovation, et surtout de réflexion collective sur l’essentiel : la qualité de l’enseignement et le bien-être des acteurs impliqués.
L’Afrique a un immense potentiel : il est temps d’investir intelligemment dans son capital humain. Car, comme le dit si bien Nelson Mandela, « l’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde. »
Par Jason KIBISWA pour le Studio Malaika Agency
Sources bibliographiques sur l’education en Afrique :
1. Institute for Security Studies (ISS) – Rapport sur la qualité de l’éducation en Afrique et ses impacts économiques
Ce rapport explore les progrès, insuffisances, et conséquences économiques de l’éducation en Afrique, avec des chiffres clés sur les taux de scolarisation et d’alphabétisation, ainsi que les causes principales des faibles résultats éducatifs.
https://issafrica.org/iss-today/quality-education-delivers-growth-but-africa-s-scorecard-remains-poor
2. UNESCO – Rapport continental sur l’éducation en Afrique
Une étude conjointe UNESCO-AU donnant un état des lieux complet, avec un focus sur l’équité, l’exclusion scolaire, et les disparités entre filles et garçons https://www.unesco.org/en/articles/education-africa-placing-equity-heart-policy-continental-report
3. UNESCO Institute for Statistics (UIS) – Données sur l’éducation en Afrique
Une source incontournable pour des statistiques actualisées sur les taux de scolarisation, les ressources scolaires, le manque d’enseignants, et les infrastructures https://uis.unesco.org/en/topic/education-africa
4. UNESCO IICBA – Santé mentale et soutien psychosocial pour les enseignants en Afrique
Focus sur la dimension humaine et psychosociale du métier d’enseignant, un aspect crucial pour améliorer la qualité pédagogique et la motivation des enseignants https://www.iicba.unesco.org/en/mental-health-psycho-social-support-teachers-africa
5. African Futures, ISS – Éduquer un Africain adapté au 21e siècle
Analyse des transformations nécessaires des systèmes éducatifs africains face aux défis du futur, notamment l’importance des compétences de base, la formation technique, et l’intégration des technologies https://futures.issafrica.org/blog/2024/Educating-an-African-fit-for-the-21st-century
6. Empowering Africans – Le rôle de la technologie dans la redéfinition de l’éducation en Afrique
Une analyse approfondie de l’impact positif des technologies numériques sur l’éducation africaine, et des exemples concrets d’initiatives qui améliorent l’accès et la qualité https://empoweringafricans.org/https-empoweringafricans-org-the-role-of-technology-in-redefining-education-in-africa/
